Solution familiale a preferer
Les enfants souhaitant reprendre l’entreprise familiale se font rares. L’expert en successions, Frank Halter, en explique les raisons et prĂ©sente des scĂ©narios alternatifs. Photo: Dominik Hodel.

Pendant longtemps, il allait de soi qu’une entreprise familiale solide assurerait l’existence de plusieurs gĂ©nĂ©rations. Mais les temps ont changĂ©. Autrefois, la reprise de l’entreprise par les enfants Ă©tait une Ă©vidence. Dans la sociĂ©tĂ© multioptionnelle du XXIe siĂšcle, plus rien n’est sĂ»r. «L’épanouissement personnel prime souvent sur la tradition familiale», explique Frank Halter, de l’Institut PME de l’UniversitĂ© de Saint-Gall. Aujourd’hui, les acquis du pĂšre sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©pourvus de toute fonction de modĂšle. À quoi s’ajoutent, en Suisse, les excellentes perspectives pour les jeunes professionnels qualifiĂ©s, ce qui influe sur la structure des entreprises familiales.

De nos jours, seuls 40% des entreprises demeurent au sein de la famille, d’autres solutions Ă©tant recherchĂ©es pour les 60% restants. Il y a 15 ans encore, l’inverse Ă©tait le cas.
Frank Halter

Paysage PME en mutation

On estime que, ces cinq prochaines annĂ©es, plus de 70000 PME suisses seront transmises Ă  la gĂ©nĂ©ration suivante – soit une PME sur cinq. La reprise par des membres de la famille, le family buy-out, constitue une option parmi d’autres. Mentionnons aussi le management buy-out, qui peut s’appliquer en cas d’aspirations de reprise au sein mĂȘme de l’entreprise. L’avantage de cette solution: les affaires internes ne doivent pas ĂȘtre partagĂ©es avec des personnes externes, les propriĂ©taires veillant ainsi Ă  la pĂ©rennitĂ© d’une gestion compĂ©tente et du savoir-faire. Lors d’un management buy-in, en revanche, la reprise est le fait d’une gestion externe ou d’un processus de vente et l’entreprise passe en mains Ă©trangĂšres. La liquidation est la derniĂšre issue.

«Cette option doit ĂȘtre mĂ»rement rĂ©flĂ©chie», souligne Frank Halter. «Quelle que soit la dĂ©cision, il est impĂ©ratif de sensibiliser la famille au fait que chaque option entraĂźne des consĂ©quences spĂ©cifiques. En moyenne, dix Ă  douze ans peuvent s’écouler entre le premier entretien et la passation de pouvoir effective. Dans l’intervalle, les plans peuvent changer radicalement.» Comme les destins ne sont pas toujours linĂ©aires, le spĂ©cialiste recommande donc d’avoir un plan B, voire C.

SĂ©parer l’émotionnel du factuel

Dans les entreprises familiales, un facteur en particulier est bien plus dĂ©terminant que dans les autres: l’émotionnel. L’attachement Ă  ce qu’on a crĂ©Ă© soi-mĂȘme – ou qui l’a Ă©tĂ© par les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes – peut altĂ©rer la vision objective des choses. On souhaite prĂ©server ses valeurs ancestrales et Ă©viter de les transmettre Ă  autrui – parfois Ă  n’importe quel prix. Avant toute Ă©valuation approfondie d’une option de succession, une famille doit toutefois se pencher sur son identitĂ© fondamentale. Cette considĂ©ration peut d’emblĂ©e servir d’aide Ă  l’orientation. Il existe trois types d’entreprises familiales:

Certains s’accrochent dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă  l’entreprise jusqu’à la fin et ratent le moment propice de s’en sĂ©parer.
Frank Halter

Pour le premier, la vie de famille se construit autour de l’entreprise. Les besoins de la famille sont subordonnĂ©s aux intĂ©rĂȘts de la sociĂ©tĂ© – jusqu’à l’annulation des vacances en raison d’une rĂ©union («business first»).

Le second type, diamĂ©tralement opposĂ©, accorde la prioritĂ© Ă  la famille («family first»). Son point faible rĂ©side dans le caractĂšre accessoire des performances – le rĂŽle de l’entreprise Ă©tant de nourrir la famille d’une maniĂšre ou d’une autre. «Cela peut s’avĂ©rer fatal», affirme Frank Halter. «Certains s’accrochent dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă  l’entreprise jusqu’à la fin et ratent le moment propice de s’en sĂ©parer.» GĂ©nĂ©ralement, il ne leur reste qu’une montagne de dettes et une famille Ă©branlĂ©e dans ses fondements.

Le troisiĂšme type est la famille d’entrepreneurs, dont l’engagement entrepreneurial est motivĂ© par une conviction innĂ©e et non pas principalement par des considĂ©rations Ă©conomiques («La famille d’entrepreneurs»). La promotion de la place Ă©conomique, la crĂ©ation d’emplois et la prise de responsabilitĂ©s font partie des valeurs clĂ©s de la famille d’entrepreneurs. GrĂące Ă  sa flexibilitĂ© en termes de branches, elle bĂ©nĂ©ficie d’excellentes perspectives d’avenir. Contrairement aux entreprises familiales traditionnelles, la gĂ©nĂ©ration suivante peut privilĂ©gier ses propres idĂ©es commerciales en fonction de ses dispositions et de ses qualifications.

La famille d’entrepreneurs comme modùle de succùs?

Vu sous cet angle, ce type de famille semble donc le mieux placĂ© pour relever les dĂ©fis du futur. Mais comment une entreprise familiale se transforme-t-elle en famille d’entrepreneurs? Il n’existe pas de rĂ©ponse universelle. La taille de l’entreprise joue un rĂŽle tout aussi important que son secteur d’activitĂ©. Il s’agit de faire preuve de flexibilitĂ© et d’ouverture Ă  l’égard des nouvelles solutions – et de rechercher conjointement une option satisfaisante pour tous. «L’obstination Ă  maintenir l’exploitation – souvent observĂ©e – est un choix fatal. Cependant, ceux qui ont apportĂ© leur contribution se sont Ă©galement dĂ©veloppĂ©s», prĂ©cise Frank Halter.

De nombreuses entreprises sont aujourd’hui crĂ©Ă©es entre amis et leur logique s’inscrit dans celle des entreprises familiales.
Frank Halter

Quelle direction les entreprises familiales doivent-elles prendre? Au bout du compte, elles seront toute confrontĂ©es Ă  la question dĂ©licate du dĂ©veloppement futur. Une seule certitude: il n’y aura pas de renoncement complet Ă  l’entreprise familiale. «La Suisse a souvent dĂ©montrĂ© la force entrepreneuriale qui rĂ©side dans cette forme sociĂ©tale.» Cet atout rĂ©sulte certainement de la facultĂ© d’adaptation – l’une des plus prĂ©cieuses caractĂ©ristiques de l’économie suisse. «En ce qui concerne la notion de famille, elle est aujourd’hui de toute façon sujette Ă  une mutation», explique Frank Halter. «De nombreuses entreprises sont aujourd’hui crĂ©Ă©es entre amis et leur logique s’inscrit dans celle des entreprises familiales.»

Une solution optimale nécessite du temps

Le «modĂšle de succession saint-gallois», un concept cadre destinĂ© Ă  la succession d’entreprise exhaustive, aide Ă  tenir compte de tous ces facteurs. «Dans la recherche de la solution optimale, nous Ă©valuons Ă©galement des facteurs autres que ceux liĂ©s Ă  la logistique de transaction.» Pour les familles, ceux-ci relĂšvent souvent du domaine Ă©motionnel et structurel, raison pour laquelle ce processus laborieux peut s’étendre sur plusieurs annĂ©es. La mise en Ɠuvre, quant Ă  elle, suit un calendrier serrĂ©. «Une fois la solution trouvĂ©e, le processus passe en phase de transaction, qui incombe alors aux banquiers, aux avocats et aux fiduciaires.»

Frank A. Halter

a Ă©tudiĂ© Ă  l’UniversitĂ© de Saint-Gall (lic. oec. HSG) et a obtenu son doctorat (Dr. rer. Pol.) en Allemagne, Ă  l’European Business School d’Oestrich-Winkel, sur le thĂšme de la succession d’entreprise. Aujourd’hui, il est membre fondateur et membre de la direction du Center for Family Business de l’UniversitĂ© de Saint-Gall (CFB-HSG) ainsi que membre de la direction et directeur du domaine formation continue de l’Institut suisse pour les petites et moyennes entreprises (KMU-HSG).

Son approche de la succession d’entreprise se fonde principalement sur la recherche, l’enseignement et les activitĂ©s de formation continue. Ces derniĂšres annĂ©es, il accompagne rĂ©guliĂšrement des familles dans le cadre de leur succession et officie au sein de plusieurs conseils d’administration.