«La communication est le b.a.-ba»
Foto: Michele Limina

Dans les laboratoires d’Evatec, situĂ©s Ă  TrĂŒbbach (SG), l’ambiance est Ă  la fois concentrĂ©e et bouillonnante. L’entreprise suisse est spĂ©cialisĂ©e dans le dĂ©veloppement, la production et la vente mondiale d’installations high-tech dans le domaine de la technologie des couches minces, notamment pour le revĂȘtement des composants de smartphones, de semi-conducteurs ou de LED. Sur demande, Evatec dĂ©veloppe en outre de nouveaux processus pour des produits sur mesure.

Les consignes de sĂ©curitĂ© et d’hygiĂšne sont donc d’autant plus pointues. Les visiteurs ne peuvent accĂ©der aux sites de recherche qu’étant accompagnĂ©s et en portant des vĂȘtements de protection. Notre photographe ne pouvait pas immortaliser tout ce qu’il voulait. L’atmosphĂšre demeure malgrĂ© tout sereine. Une grande partie des 267 collaborateurs du siĂšge habitent dans la rĂ©gion, l’attachement Ă  l’entreprise est profond et les contacts mutuels Ă©troits.

C’est prĂ©cisĂ©ment cette culture d’entreprise suisse que le CEO, Andreas WĂ€lti, et le CTO, Marco Padrun, souhaitent Ă©tablir dans les activitĂ©s d’Evatec Ă  l’étranger. Le cap de l’exportation se dessinait dĂšs les dĂ©buts. En effet, la part des installations implantĂ©es Ă  l’étranger a toujours avoisinĂ© les 98%.

Au grĂ© de notre croissance et de l’intensification de la concurrence, nous avons rĂ©alisĂ© que nous devions nous rapprocher du client. Et ce, avec notre propre personnel.

Dans les annĂ©es 2000, Evatec misait sur des partenariats en Allemagne et aux États-Unis, tandis que la sociĂ©tĂ© coopĂ©rait avec des agents en Asie. Ces derniers travaillaient gĂ©nĂ©ralement pour plusieurs entreprises et opĂ©raient selon une planification Ă  court terme. Les agents investissaient les ressources lĂ  oĂč ils pouvaient dĂ©gager du bĂ©nĂ©fice le plus rapidement possible, se souciant peu des intĂ©rĂȘts respectifs. «Au grĂ© de notre croissance et de l’intensification de la concurrence, nous avons rĂ©alisĂ© que nous devions nous rapprocher du client. Et ce, avec notre propre personnel», explique Andreas WĂ€lti. L’objectif Ă©tant de profiter d’informations plus rapides et non filtrĂ©es, tout en collaborant plus durablement et plus Ă©troitement avec les mandants. «Nous privilĂ©gions des collaborateurs travaillant exclusivement pour nous et concentrĂ©s sur Evatec», ajoute le CEO.

Expansion vers l’Asie du Sud-Est

En 2016, les agents asiatiques ont ainsi Ă©tĂ© remplacĂ©s lors de la crĂ©ation des deux premiĂšres succursales Ă  l’étranger. Les implantations Ă  Singapour, en Malaisie, en Chine et au Japon sont des filiales juridiquement indĂ©pendantes, tandis que celle de TaĂŻwan est une succursale d’Evatec. Le dĂ©veloppement, la production et le montage sont maintenus en Suisse.

L’Asie du Sud-Est est une rĂ©gion dont les marchĂ©s en plein essor affichent une croissance supĂ©rieure Ă  celle de la Chine. Son demi-milliard d’habitants fournit non seulement une main-d’Ɠuvre bon marchĂ©, mais Ă©galement une classe moyenne grandissante aux exigences occidentales. Cette donne devrait encore s’intensifier ces 20 prochaines annĂ©es et offrir un potentiel prometteur aux entreprises suisses.

Pour rĂ©ussir dans ces pays, les entreprises doivent tenir compte de certaines spĂ©cificitĂ©s culturelles. À l’instar de la Chine, les partenaires de nĂ©gociation ne doivent en aucun cas perdre la face, les tactiques de nĂ©gociation ou la ponctualitĂ© Ă  l’occidentale ne fonctionnent pas. Par ailleurs, plusieurs meetings sont nĂ©cessaires pour Ă©tablir une base de confiance.

Quand Evatec s’implante en Asie du Sud-Est, l’entreprise profite du fait qu’elle Ă©tait dĂ©jĂ  active et connectĂ©e dans la rĂ©gion. Via des contacts privĂ©s, Andreas WĂ€lti et Marco Padrun rencontrent un expert taĂŻwanais qui les soutient dans le dĂ©veloppement des nouveaux sites. Le manager asiatique connaĂźt l’Occident par cƓur, maĂźtrise les deux codes culturels et peut ainsi neutraliser les Ă©ventuels obstacles. «Cette base nous a permis d’éviter les impairs et les erreurs qui auraient pu nous causer des problĂšmes Ă  long terme», souligne Andreas WĂ€lti.

Andreas WĂ€lti (Ă  gauche)
AtmosphĂšre familiĂšre Ă  TrĂŒbbach: Andreas WĂ€lti (Ă  gauche), CEO d’Evatec, en discussion avec un collaborateur.

Monnaie volatile

Evatec opte pour un dĂ©but en douceur. La crĂ©ation des entreprises est le fait d’une entitĂ© de consulting internationale. Pour le financement, la sociĂ©tĂ© mise sur la banque maison suisse prĂ©sente Ă  Singapour, ĂÛ¶čÊÓÆ”, qui gĂšre tous les comptes et prend en charge la couverture de change.

Les fondateurs d’Evatec connaissent leur premiĂšre grosse frayeur lors de l’entrĂ©e sur le marchĂ© malaisien. Du jour au lendemain, le gouvernement dĂ©cide que le commerce s’effectuerait dorĂ©navant dans la monnaie nationale, le ringgit. «Chose insolite et inexplicable pour nous», avoue le CEO. Les jeunes entrepreneurs suisses n’ont pas d’autre choix que de se plier aux consignes et de vendre leurs piĂšces de rechange en ringgit. Heureusement, le commerce de machines entiĂšres importĂ©es en monnaies Ă©trangĂšres n’en est pas affectĂ©.

«Quand on opte pour l’exportation, il faut respecter les lois en vigueur dans les pays respectifs», souligne Andreas WĂ€lti. En matiĂšre fiscale, les fondateurs d’Evatec engagent, pour chaque marchĂ©, des sociĂ©tĂ©s de conseil spĂ©cialisĂ©es qui Ă©laborent des solutions optimales pour leur entreprise. «Dans les affaires internationales, il s’agit toujours de voir comment et oĂč les bĂ©nĂ©fices sont rĂ©alisĂ©s. Nous souhaitons montrer patte blanche Ă  cet Ă©gard.»

Afin de pouvoir s’implanter rapidement et aisĂ©ment en Asie du Sud-Est, Evatec loue des «shared offices», soit des locaux commerciaux oĂč toute l’infrastructure – des tĂ©lĂ©phones aux salles de rĂ©union – est dĂ©jĂ  installĂ©e. Contrairement Ă  d’autres entreprises occidentales, Evatec recrute dĂšs le dĂ©but des collaborateurs locaux, afin d’éviter les barriĂšres linguistiques et culturelles envers les clients. À ce titre, le CEO est surpris de constater combien de personnes Ă©taient prĂȘtes Ă  travailler pour une nouvelle sociĂ©tĂ© suisse Ă  peine connue dans la rĂ©gion.

L’entreprise technologique Evatec AG a vu le jour en 2004 dans le cadre d’un management buy-out. Les jeunes ingĂ©nieurs Andreas WĂ€lti (Ă  droite) et Marco Padrun ont repris le secteur des systĂšmes de dĂ©pĂŽt sous vide d’Unaxis Balzers, aujourd’hui dĂ©nommĂ©e Oerlikon.

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Le siĂšge de Flums (SG) employait sept personnes au dĂ©but de l’aventure. Elles Ă©taient prĂšs de 60 en 2014. En 2015, l’entreprise a repris le secteur Advanced Technologies d’Oerlikon (anciennement Oerlikon Systems), qui affichait en 2013 un chiffre d’affaires de 114 millions de francs. L’acquisition d’Advanced Technologies a permis de rĂ©unir deux unitĂ©s de l’entreprise qui Ă©taient jusqu’alors sĂ©parĂ©es.

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GrĂące aux synergies et Ă  sa bonne connaissance des processus, Evatec a poursuivi sa croissance et dĂ©veloppĂ© son activitĂ© de systĂšmes de dĂ©pĂŽt sous vide de films minces. Pendant l’étĂ© 2015, l’entreprise a dĂ©mĂ©nagĂ© son siĂšge Ă  TrĂŒbbach (SG). Le nombre d’employĂ©s a Ă©tĂ© multipliĂ© par trois pour s’élever Ă  300.

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Aujourd’hui, Evatec dĂ©veloppe, produit et vend ses installations high-tech dans le monde entier: 98% de son chiffre d’affaires est rĂ©alisĂ© Ă  l’export. L’entreprise propose des solutions complĂštes dans la technologie des couches minces pour l’industrie des semi-conducteurs, l’optoĂ©lectronique et l’industrie optique de haute prĂ©cision.

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Plus de 5000 Ă©quipements ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© installĂ©s dans le monde. Ils permettent d’appliquer des substrats en couches minces, de l’ordre du micromĂštre ou du nanomĂštre, sur les matiĂšres les plus diverses, par exemple sur les Ă©crans de tĂ©lĂ©phones mobiles, les LED, les vidĂ©oprojecteurs, les instruments d’optique et les semi-conducteurs.

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Formation en Suisse

L’ensemble du personnel Evatec asiatique s’envole pour TrĂŒbbach afin d’y suivre une formation produit de trois mois. Comme Singapour et la Malaisie sont des pays multiculturels oĂč le contact avec des groupes diffĂ©rents de population fait partie du quotidien, le sĂ©jour se passe sans frictions religieuses ni culturelles. Le perfectionnement est poursuivi en Asie par des spĂ©cialistes suisses, tandis que les nouveaux collaborateurs ont la possibilitĂ© d’amĂ©liorer leur anglais en suivant des cours en ligne. Les salaires et les prestations sociales sont conformes aux usages locaux et non pas suisses.

RĂ©trospectivement, Andreas WĂ€lti aurait souhaitĂ© investir plus de temps dans la formation des nouvelles recrues, notamment en ce qui concerne les compĂ©tences linguistiques et la formation sur le site de TrĂŒbbach. «Douze semaines en Suisse ne suffisent pas pour permettre aux employĂ©s de se faire des collĂšgues et des amis suisses qu’ils peuvent Ă©galement appeler en cas de questions.» Dans leur pays, ils ne travaillent pas forcĂ©ment dans un environnement oĂč le savoir-faire est disponible d’emblĂ©e et oĂč l’on peut simplement s’adresser Ă  un collĂšgue expĂ©rimentĂ©.

Pour ce qui est de la communication, il a fallu expliquer au personnel que l’anglais Ă©tait une langue Ă©trangĂšre pour les deux parties communiquant, mais qu’il Ă©tait possible d’éviter les malentendus en utilisant des phrases courtes et sans fioritures. «La communication est le b.a.-ba», souligne Andreas WĂ€lti.

Succursales supplémentaires

Une annĂ©e aprĂšs Singapour et la Malaisie, Evatec ouvre une filiale en Chine et une succursale Ă  TaĂŻwan. Depuis 2018, la sociĂ©tĂ© est en outre prĂ©sente au Japon. Sur ces marchĂ©s, elle sollicite Ă©galement le soutien d’intermĂ©diaires locaux au fait des spĂ©cificitĂ©s culturelles et lĂ©gales. Le rĂ©gime juridique est souvent trĂšs complexe. Les connaissances des autochtones sont essentielles afin d’analyser la situation et de s’y prendre correctement pour dĂ©velopper les affaires.

Au Japon, les partenaires commerciaux sont trĂšs polis et fiables.

La biensĂ©ance et les mentalitĂ©s changent Ă©galement d’un pays Ă  l’autre. «En Chine, une rĂ©union peut sans autre devenir bruyante. Cela est tout Ă  fait normal et vite oubliĂ©. Au Japon, les partenaires commerciaux sont trĂšs polis et fiables, mais il s’agit de respecter Ă  la lettre certains processus dĂ©cisionnels», ajoute Andreas WĂ€lti.

Tous les sites en Asie sont des unitĂ©s de vente ou de service. MalgrĂ© la perspective de subventions, Evatec ne souhaite pas dĂ©localiser la production Ă  l’étranger. Les installations sont relativement complexes, et la sociĂ©tĂ© souhaite garder le savoir-faire en Suisse. «Nous estimons que, d’un point de vue tarifaire, la production dans un pays bon marchĂ© n’en vaut pas la peine dans le secteur de la mĂ©canique de pointe», explique le CEO. Pas plus que la construction de propres locaux en Asie. Dans l’intervalle, Evatec a pourtant quittĂ© les «shared offices» pour s’installer dans des bureaux louĂ©s.

Scénario catastrophe

Le pas vers l’étranger s’est avĂ©rĂ© payant pour Evatec. L’entreprise continue son expansion sans accuser de revers notables. MalgrĂ© tout, Andreas WĂ€lti et Marco Padrun ont toujours eu une stratĂ©gie de repli Ă  portĂ©e de main. «Nous avons sĂ©rieusement rĂ©flĂ©chi Ă  ce que nous ferions si cela tournait au fiasco. Dans ce cas, nous retournerions au systĂšme initial d’agents.» Sur le marchĂ© japonais, traditionnellement difficile pour les sociĂ©tĂ©s occidentales, Evatec a dĂ©jĂ  assurĂ© ses arriĂšres, puisqu’elle coopĂšre avec un agent en plus de sa propre sociĂ©tĂ© avec des employĂ©s locaux. En fonction de l’évolution que prendront les affaires, il s’agira de privilĂ©gier l’un ou l’autre modĂšle.

Pour Andreas WĂ€lti, l’un des temps forts du processus d’expansion a Ă©tĂ© le moment oĂč les premiĂšres commandes sont entrĂ©es via leur propre canal. Ou encore la placiditĂ© des collaborateurs malaisiens lorsque les premiers salaires ont Ă©tĂ© versĂ©s avec quelques jours de retard en raison d’un dysfonctionnement technique auprĂšs d’une banque locale. Mais ce qui fait la plus grande joie du CEO est le fait que les employĂ©s des unitĂ©s Ă©trangĂšres vivent aujourd’hui la culture d’entreprise suisse et s’identifient Ă  Evatec.

Depuis 2016, Evatec
Depuis 2016, Evatec crĂ©e progressivement des filiales et des succursales en Asie. L’entreprise remplace ainsi le systĂšme initial des agences.